L'émancipation d'une jeune fille
Le Sanctuaire – Laurine Roux – Editions du Sonneur – 2020
Au début d’une pandémie mondiale qui aurait annihilé une grande partie de l’humanité, une famille s’est réfugiée dans un lieu isolé à la montagne. A l’origine de la catastrophe : un virus transmis par les oiseaux. Les volatiles qui passent à proximité du refuge sont tués puis réduits en cendre. La survie s’est organisée autour de leur sanctuaire : une cabane à côté d’une mine de sel. Le père, asocial, était auparavant un sculpteur reconnu. Alexandra, la mère, autrefois écrivaine, est nostalgique du passé tout comme June, la fille ainée. Gemma, la cadette, est née au sanctuaire. Cette dernière va chasser afin de subvenir aux besoins de la famille. Ils survivent aussi en faisant de la cueillette et des plantations. Seul le père peut quitter le refuge pour aller récupérer divers biens et de l’essence. Les filles ne doivent pas sortir du périmètre de sécurité. Un jour, avec son père, Gemma repère un aigle. Elle le blesse avec l’une de ses flèches. L’animal s’enfuit. Elle le pourchasse seule et tombe sur un vieil homme qui l’immobilise, lui presse un couteau sur la carotide et la menace de mort, elle et les siens, si jamais elle parle de son existence et de celle de ses oiseaux. Dès lors, Gemma n’aura plus qu’une idée en tête : retrouver l’aigle. Plus tard, le vieil homme lui permet d’approcher ses oiseaux, car solitaire depuis des années et rendu à ses plus bas instincts, il la désire. Une relation se développe entre la fille et l’aigle. Sa peur initiale se transforme en fascination, en respect, en amour. Gemma quitte l’enfance et se pose des questions sur leur situation. La cohésion de la famille vole en éclat en raison du père qui devient de plus en plus violent, jusqu'au-boutiste. Il est aux portes de la folie. Au cours de la soirée d’anniversaire de June, le père, devient extrêmement vulgaire, s’emporte et déclenche une nouvelle crise. June fuit pendant la nuit… Au final, le père, dit –il vraiment toute la vérité ?
Née en 1978, Laurine Roux enseigne les lettres modernes dans les Hautes Alpes. Ce livre écrit en 2019, avant la pandémie de COVID 19, aborde différents sujets. De prime abord, on pourrait croire que cet ouvrage est un roman de science-fiction post-apocalyptique : un écrit qui commence lors d’un effondrement civilisationnel : l’ancien monde disparait, un nouveau émerge. L’autrice, nous présente en effet, les moyens de survie de cette famille après une pandémie : chasse, cueillette, rapines du père dans des maisons abandonnées en dehors du sanctuaire, entrainement militaire, etc… Mais l’écrivaine joue avec les codes et au final, il s’agit surtout d’un ouvrage initiatique. Gemma devient autonome et commence à se libérer de ses parents et surtout de son père. Les oiseaux et l’aigle en particulier sont des symboles de liberté, d’espoir, d’évasion. Une autre vie est possible. Très actuel, cet ouvrage nous présente aussi des personnages masculins violents, extrémistes (le père) ou soumis à leur nature animale (le vieil oiseleur), il est donc urgent de repenser le paradigme dans le domaine des relations hommes - femmes.
Sébastien
Pour aller plus loin:
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L'interview de Laurine Roux, durant les Imaginales 2021:
Extrait
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Sonnée, je perds mon regard au loin : l’autre côté de la montagne. Dans la famille, personne n’y a jamais eu accès. Une succession ininterrompue de sommets, triangles bleus chapeautés de blanc, large mâchoire qui circonscrit l’horizon. J’en ai le souffle coupé. Nous avons toujours vécu comme si le monde s’arrêtait avec les falaises. Et le voilà devant moi aussi grandiose qu’interdit. Au creux de mon ventre quelque chose palpite, petit animal qui réclame je veux sortir du terrier.
L’aigle incline sa tête vers moi, je commence à le caresser. La raideur de ses plumes a quelque chose d’osseux. Cela me rassure.
Je songe au contact osseux du plumage de l’aigle, à la placidité de son regard. De tous les êtres que je connais, lui seul habite son territoire avec une telle impassibilité. Lui seul saurait me calmer. J’aimerai le sentir à mes côtés.