Sieste musicale #5 : la Guitare nous renvoie dans les cordes

Fil d'ariane

sieste11 retailléCet été, nos oreilles se la coulent douce !

Toujours placée sous le signe de la découverte et de la détente, cette nouvelle session intitulée « la guitare nous renvoie dans les cordes » vous transportera aux 4 coins du globe entre douceur et spleen.

Et oui vous trouverez un brin de mélancolie et de nostalgie dans cette sélection qui fait la part belle à la guitare solo et aux simples duos guitare/voix. Mais figurez-vous que des études scientifiques ont récemment démontré que les mélodies mélancoliques nous réconfortaient davantage que les airs joyeux. Nous avons pour la plupart déjà fait l’expérience de ce paradoxe et plusieurs explications à ce phénomène sont avancées par les chercheurs.

Déjà, les tempos lents et les sons graves, deux attributs fréquents de la musique triste, peuvent ralentir les pulsations cardiaques et la respiration de celui qui écoute, et même diminuer la pression artérielle, la température corporelle, la tension musculaire, le niveau de cortisol (l’hormone du stress) et mener à une sensation de calme

Plus récemment, le chercheur David Huron a démontré qu’écouter des musiques tristes libère une hormone, la prolactine, qui provoque un sentiment de réconfort et déclenche le circuit de la consolation. « C’est comme Mère Nature qui vous prend dans ses bras, vous console et dit ”voilà voilà, c’est fini” », explique-t-il.

Vous pouvez retrouver ci-dessous, à la fois sur Youtube et sur Deezer, la playlist de cette 4ème sieste musicale, ainsi que plus bas le descriptif des morceaux choisis.

Prochaine Sieste Musicale le samedi 19 Août à 15h

1. On commence avec un immense classique de la chanson française qui s’est imposé dans la culture populaire et dont vous ne connaissez peut-être pas le titre original qui est « Le loup, la biche et le chevalier ». Composé et interprété en 1950 par Henri Salvador avec des paroles de Maurice Pon, ce titre est plus complexe qu’on pourrait le penser, c’est une ballade pour enfants basée sur une musique boléro façon antillaise, avec un accord de jazz be-bop en plein milieu car Salvador aspire à chanter du jazz. Trop souvent résumé à son répertoire humoristique, n’hésitez pas à vous plonger dans la gargantuesque discographie de Salvador, vous y trouverez moults trésors.

2. « La Suite bergamasque » est l’une des suites pour piano les plus célèbres de Claude Debussy, et particulièrement son 3ème mouvement intitulé « Clair de Lune ». Debussy n’est pas connu pour son goût pour la guitare classique, sur ses 227 numéros d’opus, aucun n’est dédié à la guitare. Et pourtant les guitaristes l’adorent et ont transcris pour la guitare plusieurs de ses œuvres. Certain.e.s connaissent sûrement les enregistrements du légendaire duo Julian Bream/John Williams, mais j’ai préféré vous faire écouter l’interprétation du quatuor français Eclisses sur leur album « Invitation française » sorti en 2015.

3. Autre transcription, cette fois-ci celle d’un classique du jazz « Round about midnight ». Initialement composé par Thelonious Monk en 1944, ce standard s’impose avec l’interprétation de Miles Davis et l’album éponyme sorti en 1957. Mais c’est en 1966 que ce morceau est adapté par le jeune guitariste brésilien Baden Powell qui l’intègre à son premier album « Tristeza on guitar » et rencontre un succès international.

4. Véritable monument de la culture kabyle, « A vava inouva » première chanson du musicien Idir sortie en 1973 et devenue un tube planétaire, a été reprise dans de nombreuses langues. Cette berceuse empreinte de nostalgie et inspirée d’un conte kabyle « Le chêne et l’ogre », s’est tout de suite imposée comme un hymne pour toute la diaspora maghrébine et plus largement pour tous les exilés de ce monde.

5. Du rythme trépidant du choro brésilien aux lancinantes mélodies du fado portugais, sans oublier quelques escales du côté du rebetiko grec et de ses atmosphères enfumées : Quinta Feira nous balade d'un bout à l'autre des mers. Et c’est avec ce groupe clermontois que nous voyageons au Portugal avec leur interprétation de cette immense classique du fado « Cançao verde anos » composé en 1963 par le guitariste Carlos Paredes. (Les plus assidu.e.s d’entre vous se souviendront peut-être que le groupe Quinta Feira était venu en concert à la médiathèque Valery Larbaud en 2019)

6. Manno Charlemagne est un auteur-compositeur-interprète engagé haïtien, né en 1948.  Victime des exactions du dictateur François Duvalier et de ses « tontons macoutes », il connaît la prison et la torture dès ses 15 ans. Il en conservera les traumatismes et aussi un engagement farouche contre la dictature dans les textes de ses chansons qui font revivre le genre musical haïtien nommé « Twoubadou ». Son engagement lui vaudra aussi de nombreuses années d’exil. Exil qu’il sublime dans cette chanson de 1984 « Le mal du pays ».

7. Marc Ribot, ce nom ne vous évoque rien ? Ce guitariste à la carrière foisonnante incarne pourtant l’avant-garde artistique new-yorkaise depuis le milieu des années 80. Parallèlement à ses expérimentations parfois confidentielles et ses propres albums (une trentaine au total), il a également touché un large public grâce à ses collaborations avec Tom Waits, Elvis Costello, Norah Jones, Caetano Veloso, le duo portugais Dead Combo… ou, chez nous, Alain Bashung. Sur ce morceau de 1998 « Aurora en Pekin », le jeu de Ribot est empreint de retenu et de lyrisme. Cette interprétation d'une simplicité désarmante en apparence, recèle pourtant son lot de subtilités et de nuances, trahissant une très grande maîtrise de l’instrument.

8. Dead Combo est un duo de guitaristes portugais célèbre dans leur pays pour avoir réactualisé le fado, genre musical populaire portugais toujours vivace, en y apportant des éléments de musique pop, latine et jazz, et aussi une ambiance western-spaghetti. Dans leur titre « Povo que cais descalço » (2014) se mêlent guitare rythmique crépusculaire et trémolos mélancoliques de la guitare lead pour nous faire ressentir la « saudade » portugaise.

9. Un autre chant d’exil avec le morceau « Makambo » de l’artiste ougandais Geoffrey Oryema réfugié en France pour fuir la dictature d’Amin Dada après l’assassinat politique de son père en 1977. Extrait de son premier album « Exile » sorti en 1990 sur le label de Peter Gabriel « Real World » et produit par Brian Eno. « Makambo » est une complainte d’appel à la paix, après la guerre civile ougandaise qui a duré de 1981 à 1986 et qui aurait fait environ 500 000 morts.

10. Hermanos Gutierrez est un duo de guitaristes, deux frères aux origines suisses et équatoriennes. Leur album « El Bueno y el Malo » sorti l’année dernière me transporte totalement dans un western crépusculaire et notamment ce morceau « Hermosa Drive » . Coucher de soleil sur étendue désertique : « I’m a poor lonesome cowboy… ».

11. Accordons-nous un moment d’apesanteur avec la musique cosmique du trio Khruangbin. Musique instrumentale inclassable et sans-frontière, mélange de soul, de rock psychédélique, de dub mais aussi riche de musiques des quatre coins du monde, musique thaï, Moyen-orient et Mexique. « A Hymn » sorti en 2018 sur leur 2ème album « Con todo el mundo » via le label « Night Time Stories » est une parfaite introduction à leur style musical.

12. « Through my sails », cette chanson vient conclure avec grâce, le 7ème album du guitariste Neil Young intitulé « Zuma ». Un album majeur dans sa discographie pléthorique et qui a eu une grande influence sur les rockeurs des années 90. Mais cet ultime morceau est une pièce rapportée, rescapée d’une tentative d’album avortée pour le quatuor Crosby, Stills, Nash & Young. Drogues et querelles intestines auront eu raison de la vie du groupe mais pas de leurs capacités à créer de magnifiques mélodies.

13. Quel bonheur, nous venons tout juste de recevoir à la médiathèque le dernier album de Natalia Lafourcade, « De Todas las Flores » sorti en 2022 mais très mal distribué en France. Star en son pays et très connu sur l’ensemble du continent américain, la chanteuse mexicaine livre un album d’une sensibilité bouleversante mêlant boléro, latin jazz et musique impressionniste. On écoute « Pajarito Colibri » , merveille de délicatesse et d’orchestration subtile : « Petit colibri, n'aie pas peur de sortir / Aujourd'hui le monde veut que tu te réveilles pour être heureux / Petit colibri, n'aie pas peur de vivre / Laisse la nuit sombre et mystérieuse danser pour toi. »

14. « Youwilé » du trio Toto, Bona et Lokua (Guadeloupe, Cameroun et Congo) sorti en 2017 sur leur 2ème album « Bondeko ». Douce mélopée chantée dans la langue du « cœur », langue imaginaire et pourtant si expressive et sublimée par les harmonies vocales du trio.

15. Même démarche avec le jeune Ignacio Maria Gomez, héritier du guitariste folkloriste argentin, Atahualpa Yupanqui. Il quitte l’Argentine pour s’installer au Mexique où il fait la rencontre improbable d’une communauté de musiciens guinéens qui lui enseigne les rythmes mandingues. Et c’est avec cette culture cosmopolite qu’il crée son 1er album « Belesia » en 2020 qu’il décrit comme un voyage vers un pays imaginaire chanté dans une langue imaginaire. Douceur de cette voix qui s’affranchit des contraintes linguistiques pour se concentrer sur la sonorité et le rythme de l’instrument vocal, on écoute le titre « Napin Dya ».

16. Grâce à Internet, depuis plusieurs années de jeunes artistes se font connaître sans être contraint d'emprunter le chemin classique de l'industrie musicale. Le matériel d'enregistrement « home studio » basique est aussi devenu accessible financièrement. On range souvent ces artistes sous l'appellation « lo-fi » diminutif de « low fidelity » pour exprimer l'idée d'un enregistrement de basse qualité. En 2017, un français crée la chaîne youtube « Lofi Girl » qui se consacre à la diffusion en ligne et en continu de musiques « lo-fi » dédiées à la relaxation et à la concentration. Succès international, 13 millions d'abonnés à la chaîne et de nombreux jeunes artistes lancés grâce à leur diffusion sur cette chaîne. En sous-genre de cette esthétique « lo-fi », on trouve la bedroom-pop (tout un programme) et on écoute un de ses représentants, le guitariste-chanteur Puma Blue avec le titre « Super Soft » sorti en 2021 sur l'album « In praise of shadows ».

17. Pour finir, on se réveille avec un morceau culte de hip-hop instrumental athmosphérique « Aruarian Dance » (2004) par le DJ et beatmaker nippon Nujabes (malheureusement décédé en 2010 à l'âge de 36 ans). Morceau extrait de la bande son du non-moins culte manga anime « Samurai Champloo » (meilleure série animée de tous les temps selon moi), et précurseur de l'esthétique « lo-fi » décrite précédemment. Le morceau est construit sur un sample (un extrait) remis en boucle du morceau « The Lamp is Low » du guitariste brésilien Laurindo Almeida qui lui-même reprenait cette chanson populaire des années 30 inspirée de « Pavane pour une infante défunte » de Maurice Ravel. Fait étonnant, si vous cherchez « Aruarian Dance » sur Youtube, vous tomberez d’abord sur une vidéo où le morceau tourne en boucle 1 heure durant. Cette vidéo a été visionnée plus de 10 millions de fois.