Ateliers BD à l'Orangerie : critique #2

Fil d'ariane

Humains136Critique de Humains, la Roya est un fleuve, de Baudoin et Troubs, par Lison Bourgeois

 ( Lison Bourgeois est étudiante en DUT information - Communication option Journalisme)


"Tels des oiseaux sur une branche friable, ils oscillent avec le vent. Le vent naturel des climats, celui des marées et des sécheresses mais aussi celui des mains politiques, celui des armes et du silence impératif. Ils se doivent alors de montrer leurs plus belles parures, leurs muscles robustes et leurs jolies gorges. Comment décider qui de ceux qui s’entassent sur la branche pourra passer de l’autre côté ? A travers les murs et les frontières mentales qui opposent « toute la misère du monde » à un monde où l’on ferme les yeux sur la misère, ne devons-nous pas prendre un peu de recul ? Ne devons-nous pas observer avec plus d’humanité ces oiseaux migrateurs, ces demandeurs d’asile qui ne demandent rien d’autre que de fuir ?  Loin des vols noirs des corbeaux et des lamentations empathiques, la bande dessinée Humains, la roya est un fleuve, se demande comment nous avons pu perdre notre humanité face à des êtres qui laissent derrière eux tout ce qui est cher à tout humain, le pays natal, les ancêtres, parfois même les enfants trop jeunes pour partir.

Ce n’est pas la première fois que les dessinateurs Baudoin et Troubs côtoient « le monstre froid » qu’est la politique. En effet, inlassables voyageurs, ils ont déjà signé ensemble deux reportages engagés : le premier sur les féminicides de Ciudad Juarez, à la frontière américano-mexicaine (Viva la vida, 2011), le second sur les conditions de vie des paysans colombiens (le Goût de la terre, 2013). Baudoin n’est arrivé que très tard dans le monde de la bande dessinée, d’abord comptable puis ensuite maquettiste pour un journal communiste où il marie pour la première fois texte et image. Dans une de ses premières maisons d’édition, Baudoin va se lier d’amitié avec Jean Marie Le Clézio qui lui demandera d’illustrer Procès-verbal en 1989. Cette amitié a toujours eu une grande importance pour Baudoin, et c’est tout naturellement que Jean Marie Le Clézio nous interpelle avec force et justesse dans l’élégante préface d’Humains. Troubs est plus directement lié à la bande dessinée depuis ses études aux Beaux-Arts à Angoulême. Dessinateur contemplatif de la nature et des hommes, il a écrit de nombreux livres d’illustrations aux esthétiques variées. Ces deux artistes témoignent d’une vision du monde plus altruiste où l’entraide et le partage sont la normalité. En s’arrêtant sur ceux qui arrivent mais aussi sur ceux qui aident, Humains, la roya est un fleuve cherche à gommer le mot sécurité pour réécrire celui de solidarité. Solidarité pour ceux qui veulent voyager vers n’importe quel pays où il reste de l’humanité.

A travers des croquis où se mélangent les plis de la terre et ceux des visages, les lignes se succèdent et s’entremêlent dans une graphie manuscrite authentique. Derrière le choc visuel que produit une couverture d’un rouge sanglant se cache, à l’intérieur de l’ouvrage, un cœur paradoxal aux couleurs sobres et binaires. Violence du monde réel contre simplicité de l’humanité des hommes. Les planches jouent entre les blancs et les ombres pour inscrire ces trajectoires particulières individuelles non plus dans l’actualité mais dans le récit de l’Histoire. Des parcours déjà effacés dans un monde en perpétuelle évolution ou bien tragique et éternelle répétition du récit des mémoires déracinées ?"

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