La vie et l’art sauvage d’un irréductible.
Dans les années 1970, une femme fait l’acquisition d’une vieille ferme entourée de bois, dans le Lot. Elle refuse que son fils soit interné en psychiatrie. Elle lui offre une forêt de châtaigniers.
C’est donc là que vivra Jean-Marie Massou, avec sa mère d’abord, puis seul. Dans ce territoire qu’il arpente et redessine à sa façon, qu’il modèle en creusant d’innombrables galeries souterraines, en empilant les troncs et les branches, en déterrant des pierres gigantesques qu’il déplace, qu’il érige, qu’il aligne, qu’il sculpte. Le bonhomme ne sait ni lire ni écrire, mais laisse des traces dans le paysage. Quand il ne remue pas roches et arbres, il découpe des photos dans les magazines pour réaliser des collages, ou il dessine les jaquettes de dizaines de K7 sur lesquelles il enregistre ses chansons, ses histoires, ses rêves, ses discours sur la fin du monde, la surpopulation, la catastrophe écologique, la venue des extra-terrestres, ou évoquant le souvenir de Marie-Ange, la fille qu'il a connue dans son enfance.
Il y a dix ans un jeune plasticien-cinéaste s’attache à ses pas et à sa voix. Cela donne Le plein pays, un film qui dresse le portrait sensible de ce gaillard robuste et ébouriffé, homme des cavernes contemporain qui enchante la forêt et peuple ses grottes de trésors.
A la suite du film, le confidentiel label Vert Pituite, spécialisé dans « la défense des pratiques musicales singulières », publie un premier disque de Jean-Marie, entre complaintes chantées à genoux au-dessus de la citerne enfouie derrière sa maison et extraits de cassettes enregistrées sur magnétophone, témoignages de « l’univers imaginaire de l’enfance et de son insouciance autant que de l’imminence de la fin du monde et de ses habitants ». La playlist ci-dessous donne un aperçu de ce que l'on peut y entendre... Le numéro 106 de la très recommandable Revue & Corrigée consacre sa rubrique L'art des bru)i(ts au bonhomme et à sa musique ; l'article est accessible librement via Calaméo.
Il y a des disques rares, qu’on regrette de ne pas avoir à la médiathèque. Il y a des rencontres que l'on regrette de ne pas avoir faites, de ne plus pouvoir faire.
Jean-Marie Massou est mort le 28 mai dernier, à l’âge de 70 ans. Comme il a vécu, seul, au cœur de la forêt.
Ses complaintes continuent de nous hanter.