Les chroniques de l'Orangerie #14

Fil d'ariane

prisonnier passage debchroniqLa ZAPI : théâtre d’une violence institutionnalisée

 

Prisonniers du passage de Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula

 

Prisonniers du passage, un ouvrage de Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula, met au jour une étape méconnue du parcours des migrants : la zone d’attente. L’enquête qu’ils réalisent nous révèle la violence qu’oppose la justice française à l’angoisse et au désespoir de ces migrants.

« Une détresse violente et nue flotte dans ces lieux aseptisés ». Ces lieux, c’est la ZAPI, Zone d’Attente pour Personnes en Instance. Un lieu décrit par Chowra Makaremi comme une frontière entre deux mondes : ni vraiment la France, ni vraiment l’étranger. Un lieu volontairement à l’écart, pour que voyageurs et citoyens ne se doutent pas de son existence. Un lieu où se jouent nombre de drames, avec leur lot de larmes, de peurs, de désespoir.

Tableau intransigeant

Dans son ouvrage, l’autrice, anthropologue et chercheuse au CNRS, dresse un tableau, se voulant exhaustif, d’une réalité dissimulée. Le récit ne censure ni les bavures policières violentes, ni la détresse incalculable des prisonniers. Car oui, elle souhaite montrer que cette zone, appelée avec euphémisme zone d’attente, est une prison méconnue. Une prison pour les migrants, qui les retient jusqu’à une vingtaine de jours. Vingt-six jours au cours desquels les prisonniers temporaires, « qu’ils soient réfugiés politiques, réfugiés de guerre, enfants venus rejoindre leurs parents en France, ou des courageux qui cherchent une vie décente, des courageuses qui voudraient vivre dans un monde plus juste », luttent pour obtenir un droit d’asile et arriver enfin au terme d’un voyage souvent éprouvant. Mais ceux-ci se heurtent à la violence de la législation, qui les tient enfermés ou les refoule immédiatement.

Un état des lieux complet

L’œuvre est enrichie d’une documentation profonde qui éclaire les aspects techniques des migrations et des structures physiques et législatives qui les encadre. Elle regroupe également de nombreux témoignages, abordant sous différents angles cette situation oubliée. Car cette structure est volontairement mise à l’écart, comme le montre la récente « délocalisation des audiences » des étrangers. La bande-dessinée se fait alors relais des voix s’élevant contre cette situation. Ainsi, on apprend que l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) dénonce « une justice au rabais, loin des regards ». Elodie Joule, agente du bureau de l’asile à la frontière déplore également les critères de jugement qui lui sont imposés, « qui ne sont pas ceux de la vraie vie ».

Ce roman graphique est un récit poignant, saisissant, tragique, douloureux et bouleversant. Il explore les trajectoires de Kadiatou, Yoones, Jana et bien d’autres, ces « prisonniers du passage ». Avec des aquarelles aux couleurs ternes et un dessin expressif, Matthieu Parciboulla retranscrit parfaitement la misère et le désespoir de ces étrangers en sursis. Enrichie d’explications et de témoignages, l’œuvre se veut complète et directe. Un récit droit, engagé, qui dresse un état des lieux de la situation déplorable des demandeurs d’asile en France.

Coline Cornuot (étudiante ICJ)

Prisonniers du passage la bande dessinée