Pardonner l'impardonnable
Là où tout se tait - Jean Hatzfeld - Gallimard - 2021
C’est entre le 7 avril et le 17 juillet 1994 que s’est déroulé l’un des génocides les plus meurtriers de l'histoire: 800.000 Tutsis sont morts au Rwanda pour une durée totale de 100 jours.
A l’époque, Jean Hatzfeld, journaliste à Libération est envoyé dans le pays aux mille collines pour couvrir l’actualité. Horrifié par ce qu’il a vu, il est persuadé que ses confrères et lui-même n’ont pas eu le temps de véritablement saisir la gravité de la situation. Il décide alors de séjourner plusieurs années à Nyamata, un village de la région du Bugesera, où il gagne peu à peu la confiance des habitants.
Devenu écrivain, il se donne pour mission de raconter l’histoire de ceux qui ont traversé cette expérience monstrueuse de l'extermination. En témoignent ses nombreux ouvrages : Dans le nu de la vie : récits des marais rwandais (2001), Une saison de machettes (2003), La Stratégie des antilopes (2007)…
Dans son dernier livre Là où tout se tait, Jean Hatzfel a voulu réparer un oubli. Lui qui a grandi à Chambon-sur-Lignon, a souhaité cette fois-ci rendre hommage aux Justes du Rwanda. En effet, parmi tous ces monstres sanguinaires qui brandissaient des machettes pour tuer le plus de Tutsies, quelques hutus ont tenté l’impossible : sauver une vie.
Même si aujourd’hui, il existe une reconnaissance officielle de ces héros, beaucoup sont encore ignorés. Pour quelles raisons ? Parce qu’il est encore trop tôt pour témoigner, parce que les Tutsis ont trop souffert pour être capable de pardonner, parce qu’il est déjà difficile aujourd’hui de coexister pacifiquement avec l’ennemi d’hier.
Dans ce remarquable récit, Jean Hatzfel nous présente ces sauveteurs qui ont mis leur vie et celle de leur famille en danger en faisant preuve d’humanité envers les Tutsis. Beaucoup ont perdu la vie, d’autres ont survécu et témoignent pour le journaliste français. Au milieu de ces terribles histoires d’exécutions en masse, Jean Hattzfel parvient à nous redonner confiance en l’être humain, en donnant la parole à ces hommes et ces femmes qui ont eu assez de courage pour dire NON aux massacres.
Martine
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Extrait
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En rangs chantants, les tueurs sont montés depuis Musenyi, Kibungo, Kanzenze. Ils formaient une sorte de haie depuis les marais de Nyamwiza jusqu’au sommet de la colline, de façon que tout ce qui respirait tutsi devait être tué. Ils coupaient les gens, les vaches, les chèvres et les poules, tout ce qui se trouvait du côté des Tutsis, en brûlant et en pillant les maisons évidemment.
Lorsque le cortège des tueurs a atteint Rugunga, Isidore Mahandago est sorti de sa cour. Il habitait près de chez moi. En agrippant son bâton de vieux, il s’est avancé sur un groupe de jeunes gens attisés par les coupages, il s’est tenu droit : « Cessez de couper nos avoisinants tutsis, renoncez à tout ce sang que vous vous apprêtez à verser, il vous reviendra en châtiments. » Ces mots les ont fâchés. Un nommé Samaritain a levé sa hache, il l’a abattu. Isidore s’est couché dans son sang. Ils sont montés en file, ils ont continué leur besogne jusqu’à l’église comme vous savez. »