Lauréat 2020 du Prix Valery-Larbaud
Jacques Drillon
Cadence - Gallimard, 2018
Né à Paris en 1954, Jacques Drillon suit des études supérieures de lettres et de cinéma. Très tôt il devient professeur de musique, publie ses premières critiques de cinéma et réalise des courts métrages.
En 1975, il devient producteur d’émissions musicales à France-Musique et France-Culture puis fonde, en 1978, avec Louis Dandrel, le mensuel Le Monde de la musique. En 1981, il débute sa collaboration avec Le Nouvel Observateur à la rubrique musique classique et devient cruciverbiste en prenant la succession de Robert Scipion en 2003 à la rubrique « Mots croisés ». Tout en multipliant ses activités de critique pour Le Monde, Le Figaro, Diapason, la Nouvelle Revue Française… ou à la télévision, il crée et dirige de 1992 à 1993, la collection Guillemets, chez Bernard Coutaz, qui reprend des pages choisies dans des œuvres d’auteurs classiques dont Saint-Simon, Victor Hugo ou Marcel Proust.
Il soutient une thèse de doctorat en langue et littératures françaises en 1993 et enseigne jusqu’en 1999 la linguistique et la stylistique.
De 2012 à 2013, il publie, en hommage aux Papiers collés de Georges Perros, vingt Papiers décollés sur Bibliobs.com, réunis en volume fin 2014 sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset).
En 2017, après avoir mis fin à sa collaboration à l'Obs., il crée un blog où il commence la publication d'une nouvelle série Papiers recollés puis Papiers découpés. En 2019, il quitte Bibliobs.com, et reprend la série sur le site La République des livres sous le titre Les petits papiers.
Jacques Drillon a notamment publié : Traité de la ponctuation (Gallimard, 1991), Le Tombeau de Verlaine (Gallimard, 1996), Propos sur l’imparfait (Zulma, 1999), Face à face (Gallimard, 2003), Nouveaux mots croisés diaboliques (Larousse, 2017), La musique comme paradis (Buchet-Chastel, 2018). Il publie cette année Cadence (Gallimard) dans lequel il réinvente le genre autobiographique.
Résumé
Dans le premier volume de cette autobiographie profonde et légère, Jacques Drillon raconte ses années de formation intellectuelle autant que sensuelle, ses addictions aux forêts vosgiennes, aux livres et une propension à se sentir chez soi parmi les antimodernes. Il pose un regard tendre et féroce sur ses proches et d’autres personnes célèbres ou non. Il communique sa passion pour Saint-Simon, Voltaire, Baudelaire, Rimbaud, La Fontaine, Érasme, Melville... et son amour pour la musique, qui l'a nourri, au propre comme au figuré.
Extrait
Il ne faudrait pas trop médire de l’hypocrisie. Si tous les êtres humains portaient leur âme sur leur visage, à quelles horreurs ne serions-nous pas exposés!
Que de faces répugnantes, gangrenées, pourries!
L’idéal serait qu'aujourd’hui soit comme hier, et que les journées s’enchaînent, délicieusement égales : que rien ne bouge, que rien ne change ; que la vie soit comme une toile de Vermeer, tranquille et stable à jamais : on y fait son courrier, on y brode avec le plus grand soin, on y cuisine en ne forçant surtout pas sur le lait, on y joue du clavecin, on étudie l’astronomie et la philosophie, on pèse le pour et le contre, on bavarde avec de beaux soldats qui racontent leurs campagnes, on s’assoupit. On reste bien caché, à l’intérieur de l’intérieur, à côté de la fenêtre qui ne laisse rien passer du dehors, si ce n’est la merveilleuse lumière.
Au lieu de quoi aujourd’hui est pire qu’hier. Et l’on bénit les masques qui ne changent jamais.»
Jacques Drillon - In La République des livres
Les finalistes
Anne Pauly
Avant que j'oublie - Verdier, 2019
Née en 1974 en banlieue parisienne, Anne Pauly a une formation universitaire en lettres. Si elle a toujours eu des envies d’écriture, elle commence par exercer de nombreux emplois : réceptionniste en auberge de jeunesse, correctrice dans un cabinet d’avocats puis dans un journal de faits divers. Mon « travail » d’écriture se résumait jusque-là à la rédaction d’horoscopes, de légendes, de chapôs, de petits articles contraints explique-t-elle. Elle profite de la nuit pour présenter également des émissions de radio sur les chansons d’amour, la pop culture, le féminisme et le queer.
Actuellement, elle partage son temps entre son métier de secrétaire de rédaction dans une entreprise de presse et une forme de militance pop et culturelle, que ce soit au sein de la revue féministe Terrain Vague qu’elle a fondé avec des amis en 2015 ou du festival des cultures queer Loud and Proud et produit une émission sur la Tsugi Radio.
En 2019, elle publie son premier roman Avant que j’oublie (Verdier) pour lequel elle a obtenu le prix « Envoyé par la poste ». Elle en a commencé la rédaction en 2016 lorsque, entre deux contrats, elle s’est dirigée vers un Master de création littéraire à l’université de Paris VIII. Peu sûre d’elle et de son talent d’écrivain, elle décide de se faire confiance en évoquant le deuil de son père, le couple et la famille.
Résumé
Avant que j’oublie d’Anne Pauly est un récit autobiographique et intimiste. Elle raconte le deuil de son père au double visage. Qui était-il mon macchabée, ma racaille unijambiste, mon roi misanthrope, mon vieux père carcasse ? Tout au long du livre se dessine le portrait cru et aimant d’un homme double : le père de famille tyrannique et alcoolique de l’enfance de l’écrivaine et celui tendre et maladroit, repenti de l’alcool, des dernières années.
Extrait
Ce bureau et ces livres qu’il feuilletait sans vraiment les lire sur le tao, le Japon, Montaigne et les poèmes de François Villon étaient, je crois, son rêve de sagesse, sa mise en scène à lui pour se venger d’une enfance de misère et d’un mépris social qu’il avait ressenti toute sa jeunesse. Pauvre mais avec une tête bien faite et à une époque qui le permettait, il s’était hissé sans trop de difficultés jusqu’à un emploi confortable de programmateur en informatique pour y mourir lentement d’ennui, entouré de chefaillons aussi bornés qu’agressifs, s’appropriant son travail et l’obligeant constamment à décider d’une stratégie et à donner le meilleur de lui-même pour atteindre ses objectifs.
Anne Pauly - In Libraire Mollat
Vincent Message
Cora dans la spirale - Seuil, 2019
Né en 1983 à Paris, Vincent Message fait des études de lettres et de sciences humaines à l' Ecole Normale Supérieure. Après avoir vécu à Berlin et New-York, il enseigne depuis 2008 la littérature comparée à l’Université Paris VIII où il codirige le Master de création littéraire créé en 2013.
Dans son premier roman Les Veilleurs publié en 2009 au Seuil, il revisite les codes du roman policier afin d’analyser la fascination que peuvent exercer les figures de meurtriers et de fous. L'ouvrage est récompensé par le prix littéraire de la Vocation.
En 2016, il publie son second livre, Défaite des maîtres et possesseurs (Seuil), qui est récompensé par par le Prix Horizon du Deuxième roman en 2018. Cette fable imagine un monde où de nouveaux venus privent l’être humain de sa domination sur le vivant et lui fait subir les sorts auparavant réservés aux animaux.
Dans son dernier roman, Cora dans la spirale (Seuil), paru cette année, il dresse le portrait d’une femme prise dans la tourmente de la crise économique des années 2008-2012.
Résumé
Après avoir donné naissance à une petite fille, Cora Salme reprend son travail chez Borélia, une compagnie d’assurance. Mais l’entreprise vient d’être rachetée par un groupe qui entame un travail de restructuration et un changement de politique managériale. Cora découvre le harcèlement et son quotidien va progressivement virer au cauchemar. Tout pour elle commence à se détraquer, dans son travail comme dans sa vie privée jusqu’au drame.
Grand roman de la condition féminine au travail et des mutations du capitalisme, l’héroïne Cora se demande quel répit le quotidien lui laisse pour ne pas se perdre.
Extrait
« Ce que tu essayes de me dire, demande Cora avec des mots pâteux, c’est qu’ils vont faire un plan social ? » Delphine prend une gorgée, laisse un silence. Le truc c’est que pas forcément. Ca n’est pas décidé, mais ce ne sera pas forcément ça, ou bien s’il y a un plan, il ne sera pas de grande ampleur. Ils ont peur que ça leur coûte trop cher. Ils ont peur que s’ils proposent des départs volontaires, il n’y ait que les meilleurs, ceux qui se voient déjà rebondir, qui saisissent l’occasion et partent. L’objectif officieux (mais elle n’est pas en train de lui dire ce qu’elle est en train de lui dire) va plutôt être d’identifier les salariés qui sous-performent et de les inciter à démissionner, ou de leur mettre la pression et de faire un maximum de licenciements pour motifs personnels. Cora l’arrête : elle ne comprend pas. La culture du métier c’est une culture sociale. Et même les assureurs qui ont de grosses difficultés ne se montrent pas aussi sanglants, parce qu’on fera moins appel à eux pour financer l’économie s’ils se coltinent cette image. C’est peut-être comme ça d’habitude, répond Delphine un peu abrupte, c’était peut-être comme ça avant, mais il faut croire que les temps ont changé.
Vincent Message - In France Culture
Erwan Desplanques
L'Amérique derrière moi - L'Olivier, 2019
Né à Rennes en 1980, Erwan Desplanques est titulaire d’une maîtrise de lettres modernes à la Sorbonne. Il est également diplômé de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille depuis 2004.
Cofondateur de la revue littéraire Décapages, cet écrivain et journaliste indépendant exerce pendant quinze ans à la rédaction de l'hebdomadaire Télérama jusqu’à diriger les pages d’actualité de l’hebdo, de 2008 à 2012.
En 2013, il publie son premier roman, Si j'y suis (L’olivier) qui aborde les thèmes de la solitude et la fragilité des êtres et condense en quelques tableaux les enjeux d’une vie, sur une plage des Landes où le narrateur a passé son enfance. En 2016 sort un recueil sélectionné pour le prix Goncourt de la nouvelle et en cours d'adaptation au cinéma Une Chance unique (L’Olivier), dix nouvelles jouant sur l’indécision des personnages.
Il vit et travaille aujourd'hui dans le Sud-Ouest de la France où il a créé l’association Troisième session, qui traite d’éducation à l’image et aux médias. L'Amérique derrière moi (L’Olivier) est son troisième livre et a reçu le prix Récamier en 2019. Il évoque la disparition de son père au moment où lui-même s’apprête à devenir papa.
Résumé
Le 25 décembre 2013, le narrateur fête Noël avec son frère et ses parents. Il a trente-trois ans. Son père sort le champagne et leur annonce la nouvelle : cancer du poumon, stade 4. Deux jours après, le narrateur, de retour à Paris, apprend que sa femme attend enfin leur premier enfant. L’Amérique derrière moi est pour l’auteur l’occasion de retracer son enfance marquée par l’admiration sans bornes de ce père pour les Etats-Unis.
Extrait
Mon père voulait être un héros américain. Nous n’avions jamais tenté de le dissuader. Ma mère, mon frère et moi prenions plaisir à figurer pour lui d’honorables sparring-partners dans ce jeu qu’il avait choisi pour nous. Lorsque j’avais une dizaine d’années, il me demandait de lui réciter le nom des Etats américains, qu’il reportait au stylo sur la nappe en papier de la pizzeria dans laquelle nous avions nos habitudes. Alabama, Kentucky, Illinois, Delaware… J’imaginais des buildings, des cactus, des barbus à casquette en train d’extraire des carcasses de vaches à l’arrière d’un pick-up. Il me suggéra ensuite de les lui réciter dans l’ordre chronologique de leur création. Michigan ? 1837 ! Alaska ? 1959 ! Mes réponses l’enivraient. Les Etats-Unis exerçaient sur lui une fascination sans bornes, à l’image d’un territoire qu’il jugeait impossible à circonscrire.
Erwan Desplanques - In Librairie Mollat
Erwan Desplanques - In France bleu