Du Bazar de Vichy au passage Clemenceau...

Fil d'ariane

Du Bazar de Vichy au passage Clemenceau : histoire et métamorphoses d’un grand magasin

Nouvel Atelier du Patrimoine les 4 et 5 février derniers et une nouvelle formule proposée aux curieux avec un atelier hors les murs. Il faut avouer que le sujet s’y prêtait puisqu’il était question de découvrir l’histoire du passage Clemenceau à Vichy.

Cette synthèse correspond à l’état actuel des connaissances sur le sujet, essentiellement fondée sur les Fonds patrimoniaux de la Ville de Vichy, et en particulier les archives du fonds Brière (environ 300 plans pour cet ensemble), et donc orientée sur les aspects historiques et architecturaux mais l’étude mériterait d’être approfondie, en particulier pour ce qui concerne les aspects économiques et commerciaux.

La présence de nombreux passages est une des caractéristiques de la Reine des villes d’eaux et c’est le plus récent d’entre eux qui avait été choisi, suite aux démarches entamées par l’association des commerçants qui l’occupent, en vue de sa restauration.  Différents services de la Ville de Vichy (la Direction Projet de ville, l’architecte-conseil et les Fonds patrimoniaux)  avaient été sollicités à cette occasion et ont mis au jour des éléments passionnants. Après une visite du site, les participants ont pu se réunir dans une belle pièce largement vitrée du premier étage ouvrant sur la rue de l’Hôtel des Postes, aimablement mise à disposition par l’Atelier Edison.

La genèse d’un centre commercial dans le Vichy du milieu du XIXe siècle 

Ce site, situé à l’angle de la rue Georges-Clemenceau (alors rue de Nîmes) et de la rue de l’Hôtel-des-Postes (ancienne rue du Marché) se trouve au cœur d’un quartier qui se développe progressivement en marge du quartier thermal, après la construction de la gare (1861) et surtout  l’installation du marché (1866) sur l’actuelle place Charles-de-Gaulle. Il accueille plutôt des commerces permanents, pour les Vichyssois installés à l’année, et non saisonniers comme ceux du quartier thermal. C’est aussi dans cette partie de la ville que viendront progressivement s’installer les administrations comme l’hôtel de ville, la poste puis l’hôtel d’agglomération.

 

 3 1865 détail 239283 Copie E. Rondepierre. Plan de détails de la Ville de Vichy (extrait), 1865Á l’origine, les différents marchands de tissus, chaussures, chapeaux, mais également d’articles de fantaisie étaient réunis au Bazar de Vichy. Le journaliste de la Semaine de Cusset-Vichy décrit ainsi à ses lecteurs, le 12 juin 1858 : « Nous gardons à nos lecteurs pour la bonne bouche, comme on dit vulgairement, une visite à l’ancien bazar de Vichy, situé rue de Nîmes. L’entrée est libre, et les acheteurs y trouveront avec les objets les plus utiles tout ce qui peut flatter la fantaisie. Parmi les principaux articles, nous avons remarqué la rouennerie de M. Dupuis ; un grand étalage de chaussures, des chemises d’une rare finesse, des cravates qui étonnent par leur délicatesse et la modicité de leur prix ; tout ce qui constitue en un mot le vêtement de l’homme. En face, une ravissante exposition de M. Girard où la porcelaine de Chine, le dispute aux nombreux articles de fantaisie et d’étagères dont la forme exquise et la fraîcheur de coloris, charment le regard. Une longue galerie de tableaux de genre, signés de Lucien et Lafosse, arrêtent les visiteurs. Le bon marché étonne autant que surprend le fini de ces médaillons. La brosserie, la ganterie et la parfumerie occupent une grande place dans cet établissement qui porte parfaitement son nom de bazar. »

Au hasard des déclarations d’enseignes en mairie, on trouve en effet, entre 1865 et 1880 : Au Bon Marché - apparemment sans lien avec l’enseigne parisienne fondée en 1838  –,  une demoiselle Larbaud, chapelière, une demoiselle Carte, couturière, un monsieur Labrosse, marchand de drap et confections pour homme et enfant, ou encore le Grand Bazar de la Ville de Paris… À partir de 1890, la famille Bellam-Combet semble progressivement s’approprier les lieux en ouvrant des magasins sous des enseignes connues, sans que l’on puisse confirmer leurs liens avec celles-ci. Ainsi on trouve bientôt, rue du Marché, Au pauvre diable, grand magasin fondé à Dijon en 1831 visant une clientèle peu fortunée, et À la belle jardinière, consacrée à la confection à bas prix à Paris à partir de 1824 et à l’origine d'une des premières chaînes en franchise.

 

Jean Bellam (1847-1920) et Antoinette Combet (1852-1907), eurent deux filles qui épousèrent deux frères, les Mathias : Anne (1874-1926) se maria avec Paul (1870-après 1926) qui deviendra maire de Saint-Pardoux-Lavaud (Creuse), alors que sa sœur, Joséphine (1876- après 1947) épousa René (1876-1916). Leur frère, Marius Bellam (1877-1947) se maria quant à lui avec  Louise Roy. Tous trois, ainsi que leurs conjoints, furent aussitôt associés dans l’entreprise de leurs parents et trois des quatre couples habitaient au-dessus du magasin.

La famille ouvrit bientôt d’autres commerces : une succursale à l’angle de la rue de Nîmes et du passage de la Poste (actuel magasin Armand Thierry, cf. L’Avenir de Vichy, 17 décembre 1905) et un magasin de meubles et literie à Cusset (publicité dans L’Avenir de Vichy, 18 décembre 1910).

 

 

En 1893, les Bellam-Combet louent l’ancien Hôtel du Bon Lafontaine, à l’angle des rues de Nîmes et du Marché, au Dr Aimé Therre et à sa belle-sœur Maria Bassot, pour y installer l’année suivante Aux Villes du Centre, peut-être lié à l’enseigne clermontoise de ce nom, puis, trois ans plus tard, À la Samaritaine  (enseigne parisienne née en 1870) en 1896.

Un médecin, propriétaire entreprenant, le Dr Therre

 Antoine Jean Mary dit Aimé Therre, né à Puy-Guillaume en 1854, fit des études de médecine militaire à Paris. Il épousa Marie Louise Reignier (1861-1901) à Vichy en 1882 et deux ans plus tard fut chargé du service de médecine militaire de cette même ville où il devint par la suite médecin chef de la maternité. Il a laissé plusieurs ouvrages médicaux ainsi qu’une plaquette sur un cas : L'Anencéphale à type simiesque de la Maternité de l'hôpital civil de Vichy (1943). Grand ami du maire Louis Lasteyras, il lui consacra également une brochure nécrologique, Louis Lasteyras, maire de Vichy, 1900-1912, 1919-1929 ; son rôle dans la prospérité de la station thermale (1938). Il fut par ailleurs Consul d’Argentine à Vichy en 1904 et mourut en 1948, après s’être constitué un important patrimoine immobilier.

 

 La location de cet immeuble permet à la famille Bellam-Combet de voir grand pour son commerce. Elle sera en cela une pionnière puisque qu’à cette époque, il n’existe pas encore de grand magasin à Vichy. Le Grand Bazar, qui deviendra par la suite Les Galeries parisiennes puis Les Nouvelles Galeries (actuel hôtel d’agglomération, place Charles de Gaulle), n’ouvrira ses portes qu’en 1895. Un an plus tôt, c’est à  Émile Pelisse que les Bellam-Combet commandent la reconstruction de l’édifice pour lequel l’architecte s’inspire très clairement d’un modèle parisien édifié par l’architecte Philippe Lobrot (1845-1906), 68-70 rue de la Boétie, dont les plans avaient été publiés dans Monographies de bâtiments modernes, vers 1892.

Émile Pelisse (1858-1915), un architecte à la carrière éphémère

Né à Strasbourg, fils d’un capitaine de chasseurs à pied, et d’une Bourbonnaise, Émile Pelisse ne semble pas avoir suivi de formation académique et, après un passage par Paris, il vint s’établir à Vichy en 1889. Ses premières constructions, les villas Jenny, Méryem et de Lorraine, sont édifiées aux n°15, 17 et 22 de l’avenue Thermale en 1892. Ces chantiers lui donnent l’occasion de quelques découvertes archéologiques relatées dans le Bulletin de la Société d’Émulation (1891-1892, p. 458-459). Deux ans plus tard, il construit la villa Ovidie, 4 quai d’Allier, remarquable par son jeu de briques vernissées et son décor sculpté. L’immeuble édifié à l’instigation de la famille Bellam-Combet est sa dernière construction connue à Vichy. Après avoir été associé à l’Agence Nouvelle (agence immobilière), il sera directeur technique de la Société d’épargne immobilière du Centre, gestionnaire d’habitations à bon marché à Clermont-Ferrand, où il meurt en 1915.

4 1894 Façade Nîmes 500131 1E. Pelisse. Façade sur la rue de Nîmes, 1894

5 1894 Pelisse modèle 831230 1 P. Lobrot. Immeuble rue de la Boétie. In : « Monographies de bâtiments modernes,  vers 1892

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 L’initiative dut immédiatement rencontrer un certain succès puisque dès 1896, l’agrandissement et la transformation du rez-de-chaussée et de l’entresol, occupés par le magasin sont entrepris. Pelisse ayant fermé son cabinet vichyssois, c’est Antoine Percilly qui est chargé des travaux : le bâtiment est prolongé sur la rue du Marché par l’adjonction de l’immeuble situé à l’est (n°6). La décoration sculptée de la façade en pierre de Villebois (Ain) est complétée à l’identique sur ces nouvelles travées et une élégante marquise développée tout au long des deux façades permet d’abriter le chaland et les étales disposées sur le trottoir. L’inauguration fixée au jeudi 23 décembre 1897 est annoncée par voie de presse dans Le Moniteur de l’Allier : « Ouverture des nouveaux magasins Au Pauvre Diable Bellam-Combet ».

11 1896 Percilly façade marché transfoA. Percilly. Façade sur la rue du Marché, 1896

 

 

17 1897 Marquise 500130 11 Copie A. Percilly. Marquise, 1897

25 1909 cp7739Carte postale, vers 1909

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Antoine Percilly (1858-1928) et Gilbert Brière (1882-1961), une association prolifique

 

 À l’occasion de ces travaux, l’escalier à double révolution, dont les deux volées étaient originellement tournées vers l’entrée, à l’ouest (côté rue de Nîmes),  est modifié pour desservir également les nouveaux espaces, à l’est. De ce fait, au lieu de s’inscrire dans un demi-cercle, chaque volée dessine désormais un S. À ce sujet, on ne peut qu’être intrigué par la présence d’un escalier similaire dans l’une des boutiques du passage. La tapissière Amandine Roudier, installée là depuis mars 2020, y a en effet aménagé une mezzanine accessible par un escalier en bois ancien. Cet escalier, récupéré dans une maison d’habitation du Puy-en-Velay proviendrait d’une ancienne distillerie de la région qui tombait en ruine. Or sa silhouette originale rappelle étrangement l’escalier dessiné par Pelisse et modifié par Percilly... La distillerie velaisienne aurait-elle elle-même recyclé l’escalier du Pauvre diable ? L’enquête reste ouverte !

15 1894 Copie E. Pelisse. Escalier, 1894

15 1896 Percilly Détail escalier A. Percilly. Transformation de l’escalier, 1896

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quoi qu’il en soit, la maison Bellam-Combet poursuit une ascension remarquée : « La rue de Nîmes est le grand centre du commerce établi. Nous entendons par là le négoce fixé à Vichy et y résidant toute l’année. On trouve, en conséquence, dans la rue de Nîmes, la spécialité des articles utiles : mercerie, nouveautés, chaussures, chapeaux pour homme et pour dames, etc. Nos visiteurs remarqueront un magnifique magasin nouvellement construit à l’angle des rues de Nîmes et du Marché, sur le modèle des grands établissements des boulevards de Paris et affecté à une importante maison de nouveautés de Vichy. »

24 1907 Calendrier Mondière MLCalendrier porte-courrier, vers 1900 (coll. M. Laval)

 

La modernisation des installations s’accompagne en effet d’une énergique communication commerciale, à la fois par voie de presse et par l’édition de nombreux objets publicitaires. Ainsi à l’occasion des étrennes peut-on lire dans la presse locale : « Tandis que les enfants entraînent leurs parents aux Galeries parisiennes ou Á la Ménagère, pour choisir la poupée, le jouet nouveau, les élégantes se pressent dans nos grands magasins de modes. À la Boule d’argent, chez M. Bégonin, magasin de toutes les élégances, ce sont les baptistes les plus fines, les linons les plus soyeux. À côté, chez M. Bellam-Combet, une mise en scène remarquable, un five o’clock élégant fait songer aux scènes du Musée Grévin, tandis qu’à l’intérieur, toutes les séductions de la mode viennent tenter dames et demoiselles, au grand ennui des papas et des maris. »

 

19-1897ca-Miroir-Laval.jpgObjets publicitaires, vers 1900 (coll. M. Laval)23-1905ca-Laval.jpgCette période est également l’occasion pour l’enseigne d’offrir des cadeaux promotionnels à ses meilleurs clients. Des objets siglés et illustrés, sont heureusement préservés dans la fabuleuse collection de Michel Laval : miroirs, porte-courriers, calendriers,  images enfantines en chromolithographies et bien sûr couvercles de boîtes, témoignent de l’évolution des modes (classique, Art nouveau, Art déco…) Le papier à en-tête, utilisé à l’époque, tant pour les courriers que pour les factures est illustré d’une vue perspective très flatteuse qui exagère quelque peu le nombre de travaux. Un participant de l’atelier s’interrogea par ailleurs sur la véracité de la présence d’une haute cheminée : après vérification sur les cartes postales anciennes, il apparait que le graveur a rajouté cet élément d’architecture pour accroître le caractère industrieux de l’entreprise sans qu’il n’ait jamais existé à cet emplacement !

 

 

   

  

 

 

 

En 1911, un nouveau bail est signé entre les familles Therre et Bellam-Combet. Cette dernière acquiert également la parcelle mitoyenne, au sud de l’immeuble Therre ce qui lui permet d’engager aussitôt de nouveaux et importants travaux de transformation, confiés cette fois à l’architecte Antoine Chanet. Celui-ci fait appel à l’entreprise de béton armé Hennebique pour aménager une galerie à l’entresol, éclairée par une vaste verrière. Le magasin dispose alors d’une surface de 6 000 m2 répartis sur trois niveaux qui permettent l’ouverture de rayons d’ameublement en plus de la confection. Ces grands travaux sont l’occasion d’une première commande au vitrailliste limougeaud Francis Chigot (1879-1960) qui se voit confier la fourniture de 60 panneaux vitraux et 64 panneaux de verre imprimé jaune pour le plafond dont le pourtour est orné d’un motif végétal, ainsi que de 11 enseignes en verre américain  avec lettres dorées et filets sur fond bleu.  Ce nouveau magasin est inauguré le 24 juillet 1911 : la maison Bellam-Combet devient alors Bellam-Mathias.présence d’une haute cheminée : après vérification sur les cartes postales anciennes, il apparait que le graveur a rajouté cet élément d’architecture pour accroître le caractère industrieux de l’entreprise sans qu’il n’ait jamais existé à cet emplacement !

 Avenir de Vichy 1911 07 23 « L’Avenir de Vichy », 27 juillet 1911

 

 

 

Ainsi, ce magasin qui disposait déjà des attributs essentiels des grands magasins, à savoir un emplacement à l’angle de grandes artères signalé par une coupole visible de loin, adoptait en 1911 les caractéristiques les plus modernes avec le principe de galerie à l’étage couverte d’une verrière laissant pleinement rentrer la lumière dans l’ensemble des espaces commerciaux. 

 

40 1911 Vichy Clemenceau 22 076 IFA 1457 1 1 Intérieur du magasin. Photographies du Fonds Hennebique, vers 1911
(Institut Français d’Architecture)

41-1911-Vichy-Clemenceau-22-076_IFA_1457-1-2.jpg

 

En 1913, la famille Bellam ayant pu acquérir l’ancienne maison du Dr Nicolas au n°22 de la rue G.-Clemenceau, parachève son œuvre par la construction d’une nouvelle façade commandée à Antoine Chanet dans la continuité de la façade initiale de Pelisse. Francis Chigot reçoit alors de nouvelles commandes : 44 panneaux pour compléter le plafond vitré de 1911, des encadrements de vitraux à motif de feuillages rappelant celui du plafond pour les vitrines, ainsi que 6 enseignes lumineuses en verre bleu opalescent.

Là encore, les Bellam-Mathias ne lésinent pas sur la publicité pour vanter l’importance de leurs nouvelles installations – « les plus vastes de la région » -, tout en l’inscrivant dans une longue tradition : il est en effet précisé dans le programme de la fête de la gymnastique de 1913 que le magasin a été fondé en 1872 tandis que l’année suivante, dans le guide de Vichy édité par le Syndicat d’Initiatives, son antériorité remonte à 1868 ! Ils éditent également une carte postale et des menus. Un véritable publi-reportage est même publié à l’occasion de l’inauguration dans Le Moniteur de l’Allier du 28 juin 1914.

« Depuis quelques années, le luxe des magasins a pris des proportions incroyables dans notre Ville, et de cela nous ne pouvons que remercier ceux de nos concitoyens qui ont fait de très grosses dépenses dont bénéficiera leur commerce, mais qui embellissent considérablement notre Cité thermale.

39 1914ca Menu Bellam Mathias LavalMenu, vers 1914 (coll. M. Laval)La grande maison Mathias-Bellam devait à sa vieille réputation de ne pas se laisser devancer dans la voie du progrès et dans celle des améliorations ; aussi vient-elle d’inaugurer ses nouveaux magasins de la rue de Nîmes, en face la rue Burnol, qui présentent une façade des plus somptueuses et du plus artistique aspect. Par une très heureuse innovation, c’est au milieu des fleurs que sont disposés les multiples articles que la maison Mathias-Bellam offre à sa nombreuse clientèle, en les lui montrant sous toutes leurs faces, grâce à la galerie en hémicycle qui permet au public de circuler autour de la vitrine centrale, où se dressent les plus élégantes toilettes dans un semis de verdure et de fleurs naturelles du meilleur goût ; et c’est vraiment une chose charmante que de voir, inondé par les feux des lampes électriques ou doré par les rayons du soleil, ce parterre épanoui en pleine rue de
Nîmes.

 

37 1914ca Catalogue Bellam Mathias ameublement LavalCatalogue vers 1914 (coll. M. Laval)Eh bien, à certaines heures, il est difficile de circuler dans les galeries, admirablement agencées et qui se terminent au rez-de-chaussée par l’exposition des costumes pour dames, avec de vastes salons d’essayage, où une série de glaces habilement disposées, permettent aux élégantes de juger de l’effet des toilettes sous toutes leurs faces.Il précède les immenses magasins où se trouvent réunis tous les éléments qui composent la nouveauté, sans parler du rayon très important de l’ameublement, le tout occupant une surface de deux mille mètres, qui, répétés au sous-sol et au premier étage, donnent à MM. Mathias-Bellam, une superficie totale de six mille mètres pour recevoir leur clientèle.

Il serait impossible de trouver une maison de Nouveautés offrant à sa clientèle féminine un confort aussi moderne pour se livrer dans des conditions aussi parfaites, à l’examen détaillé d’un costume, examen indispensable si l’on ne veut pas s’exposer à subir, après coup, de pénibles désillusions.

Une visite aux Grands Magasins Mathias-Bellam démontrera, cent fois mieux que nous ne pouvons le faire, l’exactitude de ce rapide exposé écrit sous l’impression que nous avons emportée après avoir parcouru les différents services de ce superbe établissement, où l’élégance et le côté pratique de l’installation le disputent au bon goût, à la variété des articles et à la modicité des prix. Vendre beaucoup et à petit bénéfice, tel a été le but des propriétaires : ils l’ont atteint. »

Hélas, la déclaration de la guerre quelques jours plus tard va mettre un coup d’arrêt à cette belle entreprise familiale : la ville se vide et René Mathias, mobilisé, trouve la mort dans la Marne en 1916. Le magasin et ses annexes sont vendus au début de l’années 1920 à la fameuse société parisienne du Bon Marché (publicité légale parue dans Le Moniteur de l’Allier, 8 février 1920) et son fondateur s’éteint à Vichy le 5 octobre de la même année.

La société du Bon Marché va alors régulièrement faire appel à Antoine Percilly et Gilbert Brière pour mener plusieurs campagnes de travaux successives, qui donnent lieu à une importante production de dessins et à de nombreux échanges de courriers. Il n’est cependant pas toujours évident de discerner, parmi ces archives, ce qui a été réalisé de ce qui est resté à l’état de projet.

 

 42 1920 Façade rue Marché Copie A. Percilly et G. Brière. Projet de modification de la façade sur la rue de l’Hôtel-des-Postes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

43 1920ca cp8492 Carte postale, vers 1920

 

 

 

Francis Chigot est à nouveau sollicité, d’abord pour le renouvellement des huit enseignes de la marquise sur rue, qui doivent être actualisées avec le nom de la nouvelle enseigne. Il propose ensuite de nouveaux motifs de décor pour la verrière principale mais ces projets ne sont pas acceptés. 

Un devis de 1921 concernant le rafraichissement des staffs et peinture gris Trianon à l’entresol est toutefois suffisamment précis pour que l’on puisse rapidement identifier et donc dater le décor peint récemment découvert lors des travaux de restauration du passage. Signé par les peintres Jean Peyneaud et Baptiste Pouzadoux, tous deux peintres décorateurs à Vichy, il indique des décors de rosaces, consoles, frise, colonnes, soffite, pilastres. Mais c’est surtout un devis de 1937 pour la « reprise sur panneaux neufs du décor existant » qui donne le détail de chaque panneau : « une bande au pochoir : feuille de laurier avec nœuds de rubans, une bande jaune sertie orange , un filet et pois blancs, un écusson ovale fond peint crème dans son intérieur B.M. enlacés en or serti orange, dessus d’écusson nœuds de rubans en jaune et serti orange, de chaque côté de l’ovale guirlandes de roses et églantines (traité à la palette) dans les tons de violine et rose. » Au total quatre panneaux identiques à réaliser.     

 

 

 

 

 

 

  

 45 1920 Bon marché esquisses déco plafond Percilly Brière 500194 3 CopieA. Percilly et G. Brière. Projet de décoration des plafonds, vers 1920IMG 7571 Redécouverte des plafonds peints en 2021 (phot. Marine Fouler)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 1923, les architectes augmentent la construction du côté de la rue du Dr Giraud : la destruction de remises leur permet d’aménager un bureau de réception, un atelier et un garage pour les voitures du magasin (à l’emplacement du débouché actuel du passage). 

 

54-1927-Bon_Marché-Guide_SI-115535.jpgPublicité extr. du Guide édité par le Syndicat d’Initiative, 1927

52 1924 Agenda Bon marché LavalAgenda du Bon Marché, 1924 Le changement d’enseigne n’empêche pas la poursuite de la publicité qui met toujours en avant le prestige de l’immeuble, et précise par ailleurs, à partir de 1927, que le Bon Marché de Paris dispose d’une seconde succursale « de luxe » à Vichy (guide du Syndicat d’Initiatives, 1927). Le Bon Marché s’est effectivement installé au plus près de sa clientèle « cible » en investissant l’un des magasins récemment aménagé au rez-de-chaussée de l’Hôtel du Parc, palace alors le plus huppé de la station.  En 1931, le Bon Marché avait par ailleurs des succursales à Toulon, Biarritz, Le Caire, Alger, Oran, Tanger et Buenos Aires notamment.

En 1930 un projet de salle d’expositions ne semble pas avoir été réalisé. Pourtant, les reportages photos des magasins parisiens envoyés par la maison mère à titre de modèle aux architectes et le détail des dessins que ces derniers produisent en retour prouvent l’importance que l’on accordait à ces présentations de produits. L’un des participants de l’atelier, ancien employé de la fameuse Grande Maison voisine, fit d’ailleurs part de la mise en place méticuleuse des mannequins dans les vitrines : il fallait alors veiller à garnir les manches et jambes des costumes d’homme de papier de soie à l’aide d’un grand bâton pour éviter tout pli disgracieux.

 

 55 1927 RC 500133 4 CopieA. Percilly et G . Brière. Plan du rez-de-chaussée indiquant la répartition des étalages, 1927

 

 

 

 

57 1930 Salles dexpo 500133 25 CopieG. Brière. Projet de salle d’exposition, 193

 

 

 

En 1934, le magasin est scindé en deux : le Bon Marché reste au n°22, tandis que sa filiale Priminime investit le n°24 (sur l’angle). Un bar et un salon de thé sont alors aménagés dans le fond du magasin, tandis que l’escalier principal central est repoussé vers le pignon sud et complété par un ascenseur.En 1930 un projet de salle d’expositions ne semble pas avoir été réalisé. Pourtant, les reportages photos des magasins parisiens envoyés par la maison mère à titre de modèle aux architectes et le détail des dessins que ces derniers produisent en retour prouvent l’importance que l’on accordait à ces présentations de produits. L’un des participants de l’atelier, ancien employé de la fameuse Grande Maison voisine, fit d’ailleurs part de la mise en place méticuleuse des mannequins dans les vitrines : il fallait alors veiller à garnir les manches et jambes des costumes d’homme de papier de soie à l’aide d’un grand bâton pour éviter tout pli disgracieux.

62 1934 Priminime 500133 2 Copie

63 1934 Façade Nimes 500133 1 Copie G. Brière. Façades rue G.-Clemenceau et rue de l’Hôtel-des-Postes, 1934

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 La Deuxième guerre mondiale ne parait pas entraver les évolutions du magasin, alors même qu’au-dessus, la Pension Bergerolles abrite la cantine du Ministère de l’Agriculture pendant la guerre. En 1941-42, Gilbert Brière procède à la transformation des vitrines et du porche d’entrée, sur la rue G.-Clemenceau, malgré les difficultés d’acheminement des marbres commandés dans le midi, et apporte également des transformations au magasin Priminime. En revanche, un projet de nouveau mobilier est ajourné en 1944, même si certaines portes alors dessinées semblent avoir été réalisées puisqu’on les retrouve à l’entrée de certains appartements. Autre conséquence de cette période troublée, le 13 juin, les vitrines sont endommagées par l’explosion d’une bombe posée devant la fameuse brasserie Gambrinus, situé de l’autre côté de la rue G.-Clemenceau.

 

 72 1944 Mobilier 500197 CopieG. Brière. Projet de nouveau mobilier, 1944 

  

  Le Bon Marché et Priminime ferment finalement leurs portes en 1949. Gilbert Brière, associé à Pierre Lefort et Henri Pailler élaborent alors les plans d’un passage public, l’actuel passage Clemenceau, à ouvrir au n°22. Le gros œuvre, ainsi que l’escalier principal et la verrière sont conservés et vingt magasins aménagés le long d’un passage de 94 mètres de longueur.

75 1949 Brière Lefort Pailler Plan RCG. Brière, P. Lefort, H.-R. Pailler. Plan du rez-de-chaussée du passage Clemenceau, 1949 (Archives du service Urbanisme-Vichy)



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 L’initiative est saluée dans Vichy-Revue (15 nov.-15 déc. 1949) : « Une grande entreprise, Le Bon Marché, devait fermer ses portes, ainsi que sa filiale le Priminime ! […] Mais pouvait-on laisser, au cœur même de Vichy, en plus de Gambrinus, un autre immeuble, les volets clos ? Il importait, dans l’intérêt général de réagir rapidement et à coup sûr… Un groupe d’hommes d’affaires courageux décida de redonner une vie à ce grand corps désormais sans âme. C’est ainsi que ce groupe financier mit sur pied un vaste projet : Le Passage Clémenceau. Le Passage Clemenceau sera la réalisation adaptée aux circonstances et accélérée, d’un plan prévu par l’Urbanisme, qui désirait percer à travers les immeubles Penet et Serve-Girardeau un passage à piétons, prolongeant la rue du Paradis jusqu’à la rue Georges-Clemenceau, dans le but de décongestionner la circulation trop dense et quasi-impossible, en saison, sur les trottoirs de la rue de l’Hôtel-des-Postes. […] La conception de l’ensemble, due à MM. Lefort, Brière et Pailler, est placée sous le signe de l’utilisation harmonieuse du gros œuvre existant, guidée par le perpétuel souci de l’élégance dans la sobriété. Le Passage Clémenceau aura une longueur de 94 mètres et ira en ligne droite du centre de la façade actuelle du Bon Marché jusqu’à la rue Ravy-Breton. Un retour en équerre est prévu, qui débouchera sur la rue de l’Hôtel-des-Postes dans l’axe du grand escalier actuel, lequel sera conservé pour permettre l’accès à l’entresol. […] Il sera établi sur la hauteur de deux étages, dans l’axe des verrières qui subsisteront afin d’assurer un éclairage naturel et suffisant de la nouvelle artère. Couvert sur une longueur de 60 mètres, il débouchera à l’air libre dans la cour actuelle du Bon Marché, si bien qu’il sera parfaitement  aéré. Au rez-de-chaussée, seront créés 10 magasins sur les rues Georges-Clémenceau et de l’Hôtel-des-Postes. Dans les Passages proprement dits, les locaux seront divisés en 20 alvéoles à usage commercial.

74 1949 Brière Lefort Pailler Façade Clemenceau Copie G. Brière, P. Lefort, H.-R. Pailler. Élévation sur l’entrée du passage, 1949 (Archives du service Urbanisme-Vichy)

 Comme dans le Lido aux Champs-Elysées et dans le Grand Passage de Clermont-Ferrand, les acquéreurs d’alvéoles seront tenus de se conformer, dans l’aménagement des façades, aux grandes lignes d’une architecture soigneusement étudiée et imposée par un Cahier des Charges. […]Sous-sol et entresol seront également divisés en alvéoles à usage professionnel et chaque acquéreur de magasin aura la possibilité, par priorité, d’obtenir le sous-sol et l’entresol correspondant à son propre magasin. […] Quelques dernières caractéristiques : la hauteur du rez-de-chaussée sera de 4 m 85 sous plafond ; celle de l’entresol : 3m85. Le passage lui-même aura sous verrières, une hauteur de 9 m 50 et une entrée monumentale sera édifiée sur la rue Georges-Clémenceau. De nuit, l’ensemble sera éclairé par les services de la propriété et fermé par des grilles, à partir d’une certaine heure, afin que soit mieux assuré le gardiennage. Déjà, de nombreuses demandes d’acquisition sont parvenues à l’Agence Laforêt, mandataire, qui a été chargée de procéder à la vente des futurs magasins : c’est dire quel intérêt présente, à priori, cette heureuse innovation, appelée à devenir un réel pôle d’attractions au cœur même de la ville. […] Nous sommes persuadés que cette affaire est appelée à connaître un développement maximum et durable. Il y en a qui ont déjà compris !... »

 

 

 

Parmi les premiers occupants qui avaient investi, tant le rez-de-chaussée que la galerie, figuraient notamment, d’après l’annuaire de 1966, plusieurs magasins de confection, un magasin de linge de maison, un autre de tricots, une bonneterie, un cordonnier, quatre bijoutiers, deux horlogers, une blanchisserie, deux libraires, deux décorateurs, un fleuriste, un herboriste, une modiste, un coiffeur, un assureur… Plus tard vinrent aussi une restauratrice de poupées anciennes et le maroquinier J.R. Dumorand  dont B. Kajdan avait bien voulu apporter un sac siglé.

77 1949 Brière Lefort Pailler Magasin Bronsky Devanture Urba CopieG. Brière, P. Lefort, H.-R. Pailler. Devanture de magasin, 1949 (Archives du service Urbanisme-Vichy)

Passage du commerce sd Mougins MLMougins phot. Devanture de magasin, vers 1950

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Soixante-dix ans après son aménagement, le passage avait besoin d’une sérieuse rénovation dans laquelle les copropriétaires se sont engagés en 2021, à commencer par l’étanchéité de la terrasse et la restauration de la verrière. Des sondages effectués en vue de la réfection des peintures de l’entresol, ont permis de redécouvrir des douilles intégrées au décor de staff au pourtour de la verrière : celles-ci ont été remises en fonction. Par ailleurs, ces mêmes sondages, effectués par Séverine Haberer, ont mis à jour deux générations différentes du décor peint de la galerie. Celui de 1921, à dominante gris Trianon, réalisé au pochoir pourrait être restitué dans les prochains mois, si copropriétaires et commerçants, réunis en association, parviennent à réunir les fonds nécessaires…

 

 

ASSOCIATION DES COMMERCANTS DU PASSAGE CLEMENCEAU VICHY

 

78 Copie

 

En 2015, constatant le déclin du commerce et la décrépitude dans laquelle sombrait le passage Clemenceau, une poignée de commerçants ont décidé d’agir.  Nous avons créé une association de commerçants.   Nous organisons des animations et décorons le passage selon l’actualité :  noël, st valentin, pâques, scrabble, halloween, ect… Mais notre association a aussi pour but de rénover ce passage.  Après plusieurs années de débats laborieux, enfin, en 2018, grâce à nos démarches, la copropriété et ses copropriétaires valident le projet de rénovation. Les travaux sur verrière, terrasse et façade (ces 2 dernières sont peu visibles) coûtent environ 800 000 €. Ils sont lancés en 2020 et achevés fin 2021.  Concernant la peinture : une surprise de taille nous attend. En effet, les peintres, lors du ponçage du plafond (de part et d’autre de la verrière) découvrent des fresques anciennes.  Initialement, nous n’envisagions qu’une simple peinture, la question des fresques se pose alors. L’architecte de la ville de Vichy et les bâtiments de France nous conseillent (c’est une obligation si l’on comprend bien) de restaurer ces fresques, mais,… à nos frais… ! Le prix de cette restauration coûterait entre 60 000 € et 70 000 €. Les copropriétaires ne sont pas d’accord et bon nombre d’entre eux n’ont plus la capacité de rajouter une telle somme en + des 800 000 € déjà engagés. Nous sommes donc en quette de mécènes, donateurs, subventions ou autres… Vichy étant classé maintenant à l’Unesco il est indispensable et logique que l’on trouve de l’aide. Nous avons financé et accompli ce gros travail, seuls et par nos propres moyens jusqu’à présent. Sans aide financière, nous serions contraints de peindre simplement et de couvrir les fresques, malheureusement. Nous allons mettre en place une cagnotte LEETCHI sur internet qui pourrait nous aider, peut-être. Il faut donc qu’une solution soit trouvée au plus vite afin de terminer cette rénovation dès 2022.

Mr ROLLAND Jean-Luc Président de l’association des commerçants et Président du conseil syndical de la copropriété Clemenceau.Tel 06.24.40.30.72   /  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Remerciements à M. Rolland et Mme Chassot (association des commerçants), Pierre Gatignol et Sylvain Biguet (Atelier Edison), Marine Fouler (manager centre-ville, direction Projet de ville), Agnès Marcaud (architecte-conseil), aux actifs et généreux participants, Maurice Thillet et Bernard Kajdan notamment et à Laure Murard pour sa relecture.

Sauf mention contraire, les documents reproduits sont issus des fonds patrimoniaux de la ville de Vichy.