Les 11 et 18 mars derniers se sont tenues les deux séances consacrées à l'Atelier Patrimoine "nouvelle formule" sur le thème : "Les Thermaux : petits et grands métiers des stations thermales".
Une trentaine de personnes étaient réunies pour voir présenter, dans un premier temps, les documents issus des Fonds patrimoniaux sur les métiers spécifiques ou sur des métiers particulièrement bien représentés du fait de l'activité thermale de la ville. Lors de la deuxième séance, les participants étaient invités à apporter leurs propres archives ou à partager leurs souvenirs et témoignages. Avaient cependant été exclues les professions plus couramment étudiées par ailleurs comme les médecins, directeurs d’établissements, architectes, hôteliers… Les échanges furent riches et se prolongèrent au-delà de l'atelier. Au final, une sorte d'inventaire à la Prévert !
Des quartiers spécifiques
Côté textes, différentes sources ont été exploitées, à commencer par les annuaires anciens qui présentent l'avantage de contenir, en plus des classiques classements alphabétiques et par professions, un classement des habitants par rues mettant clairement en évidence la sociologie des différents quartiers. Le Guide annuaire de 1905, indique par exemple en introduction (p.21) : "Les quartiers ouvriers - Quoique peu fréquentés, en général, par la colonie étrangère, nous croyons qu'il ne serait pas sans intérêt pour beaucoup de nos visiteurs de consacrer à leur visite quelques instants. Le Champ Capelet, le quartier le plus populeux de Vichy, est situé au nord de la ville, entre l'avenue Victoria et le bief du Sichon ; c'est là qu'a été créé, il y a quelques années, le nouveau Champ de Foire. Dans la Ville aux Juifs, sur la route de Cusset, se trouvent l'Emballage et la Gare d'Expédition des Eaux de l'Etat, ainsi que l'usine à gaz de Vichy et de Cusset. Sous le nom de "Tonkin", on désigne tout le quartier situé sur l'autre côté de la voie ferrée. On y communique par un passage à niveau et une passerelle métallique nouvellement construite..."
Effectivement, le classement par rues confirme cette répartition : dans la rue d'Alsace, se succèdent menuisiers, charpentiers, voitures, charrons, plâtriers... dans celles de Marseille, de Provence ou de Chateaudun résident terrassiers, forgerons, tailleurs de pierres, cimentiers ou manœuvres. En revanche, à l'ouest de la voie ferrée mais au sud de la ville (alors que les installations thermales se trouvent essentiellement concentrées au nord), habitent volontiers les artistes employés au Grand Casino : le décorateur Louis Contessa, le comédien Gabriel Brunière ou le chef d’orchestre Georges Amalou ont élu domicile rue de Strasbourg, par exemple.
La presse ancienne, nous le verrons plus loin, est également riche d'enseignements et mériterait d'être dépouillée rigoureusement sur ce sujet. La littérature thermale, qu'elle soit fiction ou guide touristique apporte elle aussi des informations ainsi que les travaux universitaires ou articles souvent approfondis publiés dans les bulletins de sociétés savantes locales. Ainsi, l'Académie du Vernet publia en 1981 un témoignage original de Jean Blochet intitulé "Vichy vécu" qui présente le grand avantage de s'attacher à des souvenirs du quotidien rarement évoqués par ailleurs. Enfin, il a été rappelé qu'une étude plus poussée imposerait des recherches du côté des archives municipales et départementales.
A la gare
L'atelier fut surtout l'occasion de traquer les "thermaux" dans l'iconographie locale, en adoptant pour cela le rythme de la vie du curiste. Logiquement, ce sont donc les pisteurs qui apparurent en premier dans les documents écrits : la Semaine de Cusset s'en fait déjà l'écho le 2 août 1845, sous la plume du Capitaine A. Joubert : "Enfin nous débarquons à Vichy, cette terre promise pour nous, au milieu d'un essaim criard et passablement importun d'émissaires mâles et femelles, plutôt femelles que mâles à en juger par la langue, des hôtels, restaurants, cafés et logements garnis de l'établissement thermal. Grand Dieu, comment se reconnaître au milieu de ce tohu-bohu indicible de : Monsieur, prenez ma carte, vous ne serez bien que chez Sornin. Un autre : Monsieur, l'hôtel Montaret est le seul où puisse loger un homme comme vous ; nous y possédons M. le Préfet de l'Allier. Un troisième : l'hôtel Cornil possède en ce moment le fameux lord Marsall et son neveu ; l'on ne peut aller ailleurs sans se compromettre. Un quatrième : N'écoutez pas tous ces gens-là ; l'on est bien qu'en logement bourgeois ; vous n'y paierez guère que cinq francs par nuit pour un lit et la jouissance de deux chaises, pot à l'eau, cuvette, etc. Étourdi, abasourdi, je profite de ce que le facteur a écarté la foule des prôneurs vichicatois qui me pressait à m'étouffer..." Ces pisteurs, employés par les hôtels et souvent rémunérés à la commission, exerçaient leurs talents à l'arrivée de la voiture mais aussi dans la voiture même qu'ils empruntaient à Lapalisse et plus tard dans le train, en montant à Saint-Germain-des-Fossés. Ils se faisaient alors passer pour d'aimables voyageurs dispensant gracieusement leurs conseils en matière d'hébergement et de restauration aux autres passagers. Alla P. précise que cette pratique était courante également dans les stations allemandes ainsi que dans les stations balnéaires. Sur le pistage, voir Jacques Cousseau. Palaces et grands hôtels de Vichy (p. 20-21).$
A la gare, ils sont bientôt rejoints par les porteurs et les chauffeurs des voitures d'hôtels.
A l'hôtel
L'activité hôtelière est pourvoyeuse de nombreux emplois : chasseurs, grooms, garçons, maîtres d'hôtel, femmes de chambre, cuisiniers, etc. apparaissent le plus souvent sur des cartes-photos (photographies collées sur carton avec un dos de carte postale), souvent expédiées par les sujets photographiés et dont la correspondance peut fournir d'intéressants témoignages.
Jean Blochet rapporte dans "Vichy vécu" comment ces employés d'hôtels se retrouvaient dans des divers cafés-concerts de la ville "où des "gommeuses" à la coiffure en accroche-coeur, portant bas rouges ou noirs et chantant des refrains idiots attiraient la clientèle populaire. Les braillards s'y défoulaient et parfois les séances se terminaient par des bagarres entre employés d'hôtels niçois et vichyssois qui étaient en rivalité, faisant ensemble les saisons, l'hiver sur le bord de mer, l'été sur le bord de l'Allier ; ils réglaient des petits comptes."
Il ne faut pas oublier les villas meublées dans lesquelles les propriétaires louaient le moindre espace, occupant eux-même le sous-sol durant la saison. Ainsi, les dames Henriquet (mère et soeur de l'architecte Samuel Henriquet) louaient deux villas Espérance et Coligny, rue des Sources.
Egalement liée à cette activité hôtelière, la blanchisserie occupait nombre de femmes que l'on peut apercevoir sur des cartes postales de rues animées, transportant leurs panières jusqu'à la rivière au milieu de la foule, mais aussi sur des cartes de bords d'Allier où elles constituent un autre sujet pittoresque.
Françoise P.D. fait ajouter à cette liste les frotteurs... Il faut entendre frotteurs de parquet. Michel L. précise avoir connu un contrôleur SNCF qui, pendant la saison dans les années 60, complétait ses revenus comme frotteur à l'Hôtel de la Seine et à l'Hôtel des Victoires.
Aux sources et aux bains
Autour des sources et à l'établissement de bains se trouvent les véritables "Thermaux", ces employés qu'on désigne aujourd'hui sous l'appellation d'agent thermal ou hydrothermal ou encore d'hydrobalnéologue. Ce sont d'abord les donneuses d'eau chargées de dispenser la juste quantité d'eau au curiste, aux sources de l'état comme aux sources privées. "Les préposées, les prêtresses du temple, si vous voulez, placent le verre dans un récipient métallique à long manche, et plongeant ensuite l'appareil avec une remarquable dextérité au centre de la vasque où mugit l'onde minérale, déposent devant le client le verre sur la tablette de marbre du pourtour ou le présentent sur le plat de leur main avec délicatesse et une remarquable agilité. Sous la robe d'uniforme de toile de Vichy à larges raies, vous trouverez plus d'un coquet minois." (Splendid Guide, 1880). Ces "coquets minois" sont généralement engagés par la responsable de la source, seule employée de la Compagnie fermière qui recrute plusieurs jeunes femmes à qui elle donne un petit fixe complété par les pourboires. Voir à ce sujet : "Donneuses d’eau : une profession au cœur du thermalisme français (1840-1914)" / Eric Jennings.
L'emploi de donneuse d'eau a été supprimé en 1971, avec la modernisation du hall des sources, et son remplacement par des robinets en self-service... Parfois, les curistes ne se déplacent pas directement à la source et font transporter le précieux liquide par les chasseurs de l'hôtel que l'on voit sur les cartes postales, carafes à la main. Michel A. fait remarquer qu'un peu plus tard, ces carafes seront remplacées par des thermos, vendus comme les verres à proximité des sources.
A l'établissement thermal, le nombreux personnel est aussi bien féminin que masculin selon la division des soins pour chacun des deux sexes. Il est apparemment plus qualifié et mieux rétribué qu'aux buvettes.
Claude D. ajoute que, outre les personnels chargés de dispenser les soins, il y avait autour de 1900 des "sécheurs" chargés de mettre à disposition peignoirs et serviettes secs. A proximité de l'établissement et des sources, la bascule permet par ailleurs au curiste de constater (ou non) les bienfaits de la cure.
Une autre partie du personnel, exclusivement masculin celui-là, est employé à l'embouteillage. Au milieu du XIXe siècle, celui-ci s'effectue directement aux abords de la source, comme ici à la Source Lardy.
Mais bientôt, le succès de la commercialisation des bouteilles pousse à l'industrialisation de cette opération, déménagée à proximité de la voie ferrée.
En revanche, si ce sont encore les hommes qui ont en charge la fabrication des pastilles, c'est aux femmes que revient le soin de l'emballage. Par chance, cette activité étant l'objet de visites touristiques, les éditeurs de cartes postales ne se sont pas privés d'en diffuser les images.
Au parc
Les métiers liés au thermalisme ne sont pas limités au domaine de l'eau : les soins occupent la matinée du curiste mais le reste de la journée et la soirée est dévolu aux distractions. Celles-ci sont concentrées autour du parc où le baigneur a d'abord affaires aux nombreux marchands ambulants.
"Sous les promenades couvertes, des artisans vendent les jouets qu'ils ont fabriqués l'hiver, des petits marchands vous proposent leur tourniquet pour faire des oublies, cette pâtisserie très mince dont les enfant raffolent. Devant l'établissement de bains, à certaines heures, vient un chevrier qui conduit son troupeau en jouant de la flûte, il sert des tasses de lait ; le lait de chèvre, c'est la panacée du moment." (Jean Blochet, p. 67)
Le parc est le terrain favori des marchands de journaux, de cartes postales, de fleurs mais aussi des photographes, portraitistes et autres chaisiers chargés de faire payer la location des sièges dans le parc.
Cette pratique a duré jusque dans les années 60 et de nombreux vichyssois se rappellent des chaisiers et de certains artistes. Christiane D. se souvient de plusieurs photographes qui exerçaient à la Source de l'Hôpital, rue Lucas (dans son actuelle partie piétonne devant les Dômes), boulevard des Etats-Unis, près du départ de la promenade des ânes et de la laiterie (vers les jeux d'enfants actuels).
Léo Lafont opérait quant à lui depuis le pont de Bellerive pour photographier les pédalos. Christiane D. se souvient également de deux dessinateurs qui avaient pris la suite du célèbre Gilbert : elle conserve encore un pastel signé Pierre-Dié Mallet, portrait d'elle enfant, qui avait nécessité plusieurs séances de pose près de la Restauration (actuel Grand Café) en 1951. Elle cite encore le peintre Senneret qui réalisait des portraits près du kiosque à musique et exposait dans la rue, devant le Petit Casino (actuel Centre culturel Valery-Larbaud), ainsi que Maurice Bonvin qui peignait portraits et paysages à l'huile.
Musique, spectacles et jeux
La musique était elle aussi omniprésente dans les rues de Vichy. Outre les musiciens "officiels" de l'orchestre du Grand Casino (qui se produisaient aussi sous les kiosques à musique) de nombreux musiciens étaient engagés dans les différentes salles de spectacles de la ville, dans les hôtels et certains restaurants. Mais beaucoup exerçaient dans le parc ou dans les rues, depuis l'orgue de barbarie du Second Empire jusqu'à l'accordéon des années 30.
Au chapitre des distractions, on comptait, outre les comédiens du grand Casino, les marionnettistes, acrobates, toreros, jockeys qui animaient des spectacles de toutes sortes dans la ville. Michel L. avait ainsi apporté un contrat d'acrobate signé en 1923 pour un engagement au Jardin de Vichy. A l'entrée de ces établissements, veillaient les valets de pieds, chargés en particulier de s'assurer de la bonne tenue des clients et le cas échéant de leur fournir cravate ou nœud papillon.
Deux anciens valets de pied du Grand Casino, assistaient à l'atelier : Christian B. exerça en 1961, année où plastron et col dur étaient encore de rigueur, tandis que Claude D. se souvient que deux ans plus tard, l'uniforme avait évolué et se composait d'une queue de pie et d'un nœud papillon. Cinq valets de pied étaient chargés de contrôler les entrées et d'annoncer aux ouvreuses le numéro des loges le soir, tandis que le matin, ils composaient le "corps de balais" ! Eux aussi étaient chargés de frotter les parquets. Claude D. se souvient qu'ils étaient parfois dispensés de faire le ménage dans certaines loges d'artistes ou d'avant scènes (équipées de petits canapés en retrait du balcon), celles-ci étant "privatisées" : prière de ne pas déranger !
Autre métier souvent exercé par les jeunes vichyssois durant la saison : le caddie au golf. Claude D. se souvient encore avoir occupé cette fonction dans les années 60 : avant l'indépendance de l'Algérie, une bonne trentaine de caddies se trouvaient sous la responsabilité d'un caddie-master, chargé de choisir le caddie adéquat en fonction de la personnalité du golfeur. Le salaire des caddies se composait d'un fixe mais surtout de pourboires. Tous étaient tenus au devoir absolu de réserve, d'autant plus qu'ils assistaient parfois à des conversations diplomatiques ou à de délicates négociations d'affaires, au fils des parcours.
Autre distraction, le jeu, qui lui aussi employait beaucoup de monde, de façon plus ou moins autorisée mais très surveillée (voir les rapports du Commissaire du gouvernement aux archives départementales) : outre les croupiers, certains articles de presse font état de la présence regrettable de "grecs", personnages peu recommandables qui laissant gagner le joueur débutant, l'incite à miser des sommes de plus en plus fortes pour finalement perdre des fortunes. Michel L. ajoute à cette liste des employés de casino le physionomiste dont il a pu retrouver un registre. Ce personnage qui devait être doué d'un bon sens de l'observation et d'une excellente mémoire, était chargé de veiller à ne pas laisser entrer au casino les interdits de jeux. Dans cet épais registre, le physionomiste qui exerçait très probablement à l'Elysée-Palace, a consigné ses observations du 5 au 20 août 1950. A la date du 5 août, entre 15h et 6h10 du matin, il a relevé près de 800 identités, parfois soulignées d'un trait de crayon de couleur, précisant les particularités physiques ou vestimentaires, le port de lunettes ou le type de coiffure et dessinant même le motif des cravates ! Mais il faudrait connaître le code couleurs pour décrypter complètement les informations.
Si dans ces années 50, les femmes étaient admises aux tables de jeux, ce n'était pas le cas au début du siècle : seules les femmes accompagnant leurs époux pouvaient normalement pénétrer dans les salles de jeux car l'on déplorait alors les manœuvres de dames de petite vertu venues là aussi bien pour pousser les messieurs à jouer et à consommer que pour dénicher un bon client. Pour autant, les salles de jeux n'étaient pas leur seul terrain d'exercice : "L'Avenir de Vichy" du 20 octobre 1912 ou "La Semaine de Cusset-Vichy", du 5 juillet 1913 se faisaient ainsi l'écho de la présence de prostituées aux abords des parcs ou dans les récents quartiers résidentiels des curistes, au grand dam des architectes qui lotissaient ces rues et voyaient leurs locations dépréciées et délaissées par les "bonnes familles"...
Jacques Cousseau, qui avait lui-même travaillé comme garçon d'hôtel pour financer ses études de médecine, racontait que certains hôtels proposaient à leurs clients masculins solitaires un "oreiller garni" susceptible de leur tenir compagnie durant leur séjour. A la fin de la cure, toujours selon les dires de Jacques Cousseau, le client satisfait et reconnaissant se rendait chez le bijoutier accompagnée de la dame qui choisissait une belle pièce en souvenir du monsieur, souvenir qu'elle s'empressait de revendre au même bijoutier, aussitôt son bienfaiteur parti de Vichy. Le commerçant acceptait volontiers de reprendre le bijou moyennant une petite commission, sachant qu'il revendrait le même bijou à la même dame trois semaines plus tard...
Ce phénomène n'était pas nouveau puisque, comme le relève le Dr Cabanès (La vie thermale au temps passé, p. 216), Montaigne soulignait déjà dans son Journal, en 1580, que le règlement des bains de Plombières faisait interdiction "à toutes les filles prostituées et impudiques d’entrer aux bains ni d’en approcher de cinq cent pas, sous peine de fouet et d’emprisonnement et d’amende pour les clients".
Dans les années 30, il y eut même à Vichy une très officielle maison close : " La nouveauté qui fit plus de bruit que la vespasienne de Cloche-merle fut certainement l'ouverture d'une maison hospitalière. Les Aquis Calidis ont leur lupanar ! Cette construction de quatre étages avec chambres et salons particuliers desservis par des escaliers dérobés et deux ascenseurs, sa grande salle de danse et son cinéma porno a une autre dimension que la maison Tellier de Maupassant ou la Maison Philibert de Jean Lorrain. "La Féria" au 13 de la rue Drichonest exploitée par un couple : elle, Régine Soulas, dans sa jeunesse a fait partie d'un trio de jolies filles..." (J. Blochet, p.82). Michel A. comme Michel L. conservent dans leur collection respective des jetons de cet établissement. Quant à Christiane D., elle se souvient que dans les années 50, on reconnaissait souvent les filles au fait qu'elles étaient accompagnées d'un petit chien justifiant leurs allées et venues sur les trottoirs de la ville. Alla P. quant à elle précise que dans les stations allemandes, ces filles sont désignées par l'expression "les ombres de cure"...
Commerce de rue
Bien d'autres petits métiers sont exercés dans la rue. Ainsi, plusieurs cireurs s'installaient pendant la saison aux carrefours les plus fréquentés de la station thermale. Le "Prince des cireurs" avait élu résidence à l'entrée du Casino des Fleurs tandis que dans les années 50, c'est un cireur marocain qui dépliait l'étale de sa carriole au carrefour de la place Victor-Hugo, se souviennent Michel L. et Christiane D.
En 1884, François Gros, dans Scènes de la vie thermale, donne une description précise de cette activité située aux abords de l'établissement : "Cette foire quotidienne est installée sur des voitures à bras, dites baladeuses. On mesure l'espace mis à disposition de chaque marchand, et l'industriel, parqué là, s'arrange de façon à tirer le meilleur parti possible de l'emplacement qui lui est concédé. De là, sur les voitures à bras, un entassement, un véritable fouillis de menus objets, dont la description demanderait un volume. Fait-il beau, la foire éclate : on assiste comme à un feu d'artifice de boniments de toutes les couleurs. Vient-il à pleuvoir, tout cela plie bagage et disparaît en un clin d’œil. Les baladeuses sont roue à roue, coude à coude : les unes plates et offrant une surface unie d'objets rangés avec soin ; les autres encombrées de bibelots qui s'étagent en pyramides. Quelques-unes s'abritent sous des espèces de tentes d'étoffes légères aux couleurs voyantes..."
Certains marchands installaient leurs étals sur d'autres points névralgiques de la station comme la place Saint-Louis ou la rue Sévigné, passage obligé des curistes se rendant à la Source des Célestins, où ils ont subsisté jusque dans les années 50. Michel L. précise que des marchands de glaces étaient postés près de la gare et devant l'Hôtel des ambassadeurs vers 1910.
D'autres commerces et services transportaient également leur marchandise sur des carrioles, en triporteur ou en vélo, vendant au fil des rues ou livrant les hôtels. Michel L. rappelle que parmi les cyclistes, outre les facteurs, fort nombreux pendant la saison, les "pillauds" récupéraient les peaux de lapin (mais aussi la laine et les papiers). Accrochant leurs trophées au guidon de leur machine et braillant pour annoncer leur passage, ils faisaient peur aux enfants. Christiane D. se souvient quant à elle que la livraison des pains de glace ou de charbon était souvent effectuée à dos d'homme.
Ces moyens de locomotion étaient aussi utilisés pour la publicité : une carte postale de la place Victor-Hugo montre une carriole garée dans le carrefour, portant une réclame pour le pain Fougeron recommandé pour les diabétiques. Mais c'est la confiserie Château-Robert qui laissera le souvenir le plus durable de cette technique publicitaire avec sa célèbre Bourbonnaise qui sillonnait les rues de Vichy sur une petite voiture tractée par un âne, jusque dans les années 60. Les boites de bonbons avaient alors remplacées les bidons de lait de l'authentique Bourbonnaise qui livrait les hôtels...
Promenades
Les ânes ne furent pas seulement utilisés pour les livraisons et la publicité : ils furent aussi, pendant longtemps, avec les chevaux, le principal moyen de locomotion pour les promenades, que se soit pour les enfants, dans les différents parcs vichyssois où ils subsistent encore, ou pour les adultes dans les environs. Voir à ce sujet l'intéressant article de Pascal Chambriard dans le Bulletin de la Société d’Émulation du Bourbonnais (mars 2017). Pour les excursions et les visites, ils ont été supplantés par l'automobile ou par le petit train mais différents participants se souviennent de la dernière calèche qui stationnait encore rue Wilson vers 1985...
Aux abords des parcs, se trouvaient également stationnées des voitures à bras destinées aux malades "à mobilité réduite" selon l'expression actuelle. Là encore, c'est sur la place Victor-Hugo qu'on les trouve le plus souvent stationnées mais l'auteur du "Splendid guide" paraît douter du bien fondé de leur usage : "Quant aux baigneurs qui se font voiturer dans ces élégants petits chars à roulette, ce ne sont le plus souvent que des indolents profitant, à bon marché, de ce moyen de promenade ouvrant la libre circulation dans toutes les parties du parc, les plus agréablement garnies d'un public d'élite." On aura noté que la chaise à porteur, en revanche, parait avoir été peu utilisée à Vichy, contrairement à nombre d'autres stations thermales comme Royat ou Aix-les-Bains.Bien entendu, il ne pouvait être question de prétendre à quelconque exhaustivité dans le délai imparti et beaucoup d'autres petits métiers liés au thermalisme pourraient compléter cette ébauche mais l'atelier eut au moins le mérite de mettre en lumière des activités peu connues et parfois oubliées de la vie thermale. Il ressortit surtout de ces échanges que, bien souvent, les vichyssois cumulaient plusieurs emplois durant la saison et qu'il y avait du travail pour tout le monde, beaucoup de jeunes vichyssois se voyant proposés plusieurs postes et ayant le loisir de choisir leur activité estivale.
Il pourrait être intéressant par la suite d'explorer les documents du Centre international de ressources sur le patrimoine thermal à la recherche d'éléments de comparaison empruntés à d'autres stations thermales françaises ou étrangères.
Merci à tous les participants pour leurs apports précieux et rendez-vous à l'automne pour un nouvel atelier.
Fabienne